Jean-Philippe Christol : la chance de ne jamais angoisser
« Au début des années 2000, j’étais responsable des achats et du lancement de nouveaux produits chez Mc Do France », raconte Jean-Philippe désormais directeur associé de l’enseigne de restauration rapide haut-de-gamme Cojean depuis plus de 15 ans. « Dans un contexte très difficile lié aux crises de la vache folle, nos ventes s’effondraient. Un jeudi midi, je reçois un coup de téléphone : le lendemain matin, je devais proposer un produit alternatif aux burgers de steaks hachés, devant l’ensemble des directeurs de McDonald’s du monde entier, puisqu’il s’agissait d’une réunion du groupe en direct de Chicago. »
Là où beaucoup auraient paniqué, Jean-Philippe a exploité l’urgence de la situation pour alimenter son intelligence. « Je me suis dit qu’il y avait un gros travail sur lequel avancer. Et là, je me suis souvenu de mes débuts chez McDonald’s... une image m’est notamment revenue à l’esprit : celle d’un équipier qui retournait ses pains avant de les griller au toaster, pour son repas personnel. C’est ce souvenir qui m’a mis sur la voie. »
« A partir de là, tout a été très vite. Les questions se sont enchainées dans mon esprit : qu’est-ce qui rassure les mamans? qu’est-ce qui me faisait plaisir de manger, moi-même, quand j’étais enfant ? La réponse s’est présentée comme une évidence : le croque-monsieur. » En une après-midi, se sont enchainés plusieurs tests dans la cuisine d’essai du groupe, et l’adaptation du système de pression des toasters en collaboration avec des collègues du département équipements… Tests concluants.
« Le lendemain, je présentais le produit. En 10 secondes, c’était gagné : le produit remplissait toutes les attentes. Il était connu de l’univers des parents, aimé par les enfants, facile à marketer grâce à la rondeur du pain (jamais on n’avait vu de croque-monsieur rond avant cela)... et quasiment tous les ingrédients étaient déjà disponibles*. La semaine suivante, le produit était lancé. » (*Le jambon étant le seul ingrédient qui manquait parmi les fournitures traditionnellement utilisées par McDo à cette époque, les restaurants se sont fournis temporairement directement en grande surface.)
En 2003, un prix international a d’ailleurs été remis à l’ensemble de l’équipe qui a contribué au succès de sandwich.
La clé de cette réussite ? « La rapidité », conclut Jean-Philippe. Et moi d’ajouter : le sang-froid à toute épreuve, pour garder les idées claires, et avancer.
Valérie Vuillemot : chance, humilité, et pugnacité
Cette femme d’affaires, aujourd’hui Partner chez Endeavour Development , est à l’origine d’un produit innovant qui a fait parler de lui jusque sur les plateaux des talk-shows américains : l’Actifry de SEB. « L’idée, c’est juste le point de départ », assume-t-elle : « Tout le monde est capable d’avoir des idées. D’ailleurs, l’idée de Actifry était déjà dans les placards. Ce qui est vraiment complexe, c’est de transformer l’idée en un blockbuster commercial durable. »
Pour Valérie, la clé du succès réside dans un trio gagnant : chance, sens et pugnacité collective.
« La chance, c’est avoir la bonne idée au bon moment. C’est-à-dire ni trop tard (lorsque vos concurrents vous ont déjà pris la place), ni trop tôt : le marché et l’entreprise doivent être prêts. » En plus du contexte sociétal du début des années 2000 (la nutrition, le bien-être, l’alimentation-santé commençaient à émerger), les vents étaient favorables en interne : « il y avait une sorte de salut à innover, et à innover différemment. La crise était là et il fallait relancer les ventes de friteuses. Le Groupe Seb avait mis en place une démarche collective de type Blue Ocean. Cette dynamique nous a autorisés à sortir du bureau pour nous inspirer, faire de la veille... notamment en rejoignant Vitagora dès sa construction en 2005 ! »
« Vient alors une seconde clef : donner du sens aux choses », enchaine Valérie. « En nous ouvrant à d’autres méthodes d’innovation, nous nous sommes aussi ouverts à de nouveaux métiers et aux sciences sociales, nous qui venions de la métallurgie. » Chefs cuisiniers, nutritionnistes, médecins, anthropologues, philosophes… : « il faut se décentrer pour réussir », explique-t-elle. « L’humilité, c’est reconnaitre que quiconque peut avoir un regard complémentaire et utile à votre projet. Nous avons travaillé avec le Dr Recchia , Nathalie Hutter (Atlantic Santé), David Zuddas (chef cuisinier étoilé), Stéphanie Biteau (Cocooning), ….etc. » Sans compter le rôle fantastique joué par la communauté Nutrition Gourmande de l’interne au client final, communauté que l’on appelait alors les Ambuzzadors ».
Mais plus important encore pour Valérie, c’est la pugnacité collective : « nous avons vécu des échecs, des grandes périodes de doute en particulier lors de la mise au point du produit. Mais nous avions toujours l’espoir de réussir. Grâce au Groupe Seb et au management, nous nous étions mis dans une posture intrapreneuriale avec les bons outils : nous étions prêts à prendre des risques. » Diffusion dans l’émission Capital d’M6, exploitation précurseur des réseaux sociaux, présentations lors de congrès médicaux : « nous avons imaginé de nouvelles méthodes marketing pour rendre notre produit visible car au début nos moyens étaient très limités à cause de la crise. » Plus encore, Valérie admet avoir incarné le projet jusque dans son propre foyer : « je l’ai cultivé dans mon jardin, au sens premier du terme puisque j’ai fait pousser dans mon potager une variété de pommes-de-terre non commercialisées en France pour réaliser différents tests de friture. Mes propres enfants ont aussi tourné devant la caméra pour notre premier film promotionnel.»
Valérie a cette force de conviction qui vous l’assure : ce qui transforme une bonne idée en un blockbuster mondial durable, c’est la puissance du collectif humain au service d’une cause qui a du sens. « Une forme d’utopie pragmatique dans un monde qui se métamorphose très vite », conclut-elle.
Marie-Pierre Membrives : une histoire d’alignement de planètes
A l’origine de ce produit ? « Un alignement de planètes », admet-elle.
D’un côté, les tendances du marché avec le début de la multiplication des lancements de produits positionnés « healthy et gourmands ». En parallèle, des insights consommateurs forts autour de la recherche de desserts gourmands mais non culpabilisants. Enfin, une opportunité pour la célèbre enseigne de restauration rapide voulant palier son manque de desserts à la fois sains, funs, et adaptés tant aux adultes qu’aux enfants (jusqu’alors, seuls étaient disponibles les glaces, les pâtisseries, et les yaourts, compotes et sachets de fruits en morceaux pour les enfants).
Pas si simple d’imaginer le produit qui saura répondre à ces enjeux, en relevant un triple challenge. Le premier, un challenge organoleptique et nutritionnel : « le produit doit plaire aux enfants, car ce sont eux les premiers consommateurs ciblés » tout en respectant les engagements de l’enseigne en matière de nutrition concernant les enfants. Le deuxième, un impératif de praticité. Il fallait que le produit soit facile à consommer, sur place ou à emporter. En parallèle, une contrainte opérationnelle : « lorsque l’on déploie une innovation dans des enseignes équipées et rôdées comme les restaurants McDo, il faut impérativement penser à la production sur site : elle doit être facile à intégrer, rapide et pratique à mettre en œuvre.
Quel a été le déclencheur ? « Bien entendu, l’innovation peut naitre d’un processus construit et méthodique. En ce qui concerne le dessert glacé « plein fruit », c’est plutôt une somme de stimuli qui a fait tilt dans nos cerveaux. » Les challenges sus-cités en tête, c’est au détour des allées du SIAL que Marie-Pierre et une de ses collègues, alléchées par les desserts glacés aux fruits des stands, ont imaginé ce nouveau produit. En le poussant plus loin : « tout ce que j’ai pu goûter au SIAL était dur, avec des textures proches du glaçon. J’aurais eu envie de l’onctuosité du Sundae. C’est ce croisement « healthy » et naturalité du fruit et onctuosité que nous avons recherché. »
Et enfin, un contexte favorable en interne. « Ce fut le grand enthousiasme dès le départ, les premiers prototypes développés étant très convaincants. Evidemment, certains processus peuvent prendre du temps. Mais lorsque les équipes vous suivent, lorsque vos fournisseurs s’impliquent, lorsque chaque consommateur qui teste le produit vous fait un retour positif, la patience et la ténacité nécessaires à la réussite de votre projet sont une évidence. »
Le conseil de Marie-Pierre pour passer de l’idée au succès : transformer le produit en une expérience. « C’est en créant un nouveau rituel que l’on confère son essence même au produit. On lui donne une histoire, une place dans l’imaginaire collectif. Il devient unique. » Pour cela, Marie-Pierre fait des essais avec des chefs, des responsables R&D travaillant pour différents fournisseurs, un fournisseur de packaging. « Nous avons testé plusieurs options avec des consommateurs, et l’idée finale est venue au détour d’une présentation d’un de nos fournisseurs de packaging : un simple tube de carton. Déclic ! Et si on le remplissait avec notre dessert glacé onctueux et que l’on imaginait une ouverture en forme d’étoile ? Ce serait ludique, pratique, et unique, introuvable au supermarché ni au restaurant : c’était la touche finale pour créer véritablement cette expérience gourmande, saine et unique pour le dessert que l’on recherchait. »